La Lettre du Financier Territorial

Editorial

Simplifier : une entreprise compliquée

Publié dans le N°396 -Mars 2024
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Un haut fonctionnaire particulièrement expérimenté nous confiait qu'il y a deux choses auxquelles il ne croit plus : la réduction des déficits et la simplification des administrations. Voilà pourtant que le gouvernement décide de réduire massivement les dépenses de l'Etat et que sont à l'oeuvre deux missions chargées d'oeuvrer à la simplification. Restons sur ce dernier sujet.

La seule simplification réussie est celle qui se résout par une suppression de norme, de procédure ou d'institution. Or, celles-ci ont eu une raison d'être qui n'a pas disparu et elles ont créé des habitudes et des intérêts qui mobilisent des défenseurs. La pente naturelle consiste donc à garder l'objet et à l'aménager dans un sens qui se veut simplificateur. Surcroît de complication garanti !

Le recours à des missions est-il dès lors la bonne méthode là où les problèmes sont déjà bien documentés et les revendications connues et qu'il s'agit de choisir les voies du changement, forcément controversées ? Elles sont par nature temporaires, là où existent ailleurs des organismes permanents ; confiées à des personnalités proches du pouvoir, plutôt qu'à des autorités disposant d'une certaine indépendance, elles ont des moyens en personnels limités ; et le destin du rapport final reste entièrement entre les mains de qui a commandé la mission.

Un chargé de mission, qui procède par consultations, recueille des doléances et propositions qui le noient sous une masse de mesures ponctuelles. Il mesure rapidement la force des résistances, alors qu'il ne peut pas s'appuyer sur une doctrine solide et qu'il ne dispose pas d'une légitimité politique ou d'expertise propre pour imposer ses arbitrages. Si la lettre du Président de la République à Eric Woerth visait une réduction du nombre de strates des administrations territoriales, la réalité s'est vite imposée pour écarter cet objectif. Restent la clarification des compétences, la simplification des normes et la consolidation du financement des collectivités.

En 2009, le rapport Balladur avait pourtant posé le constat qu'il était impossible d'améliorer substantiellement la répartition des compétences et le système financier des collectivités territoriales sans repenser leur organisation.

Pour enrichir les matériaux soumis à la mission Woerth, deux ministres ont nommé parallèlement une mission chargée de réaliser, en quelques mois, les tâches titanesques de recenser les principales normes applicables aux collectivités locales, d'en chiffrer les dépenses et d'examiner les politiques publiques dans lesquelles les imbrications et redondances de compétences sont les plus préjudiciables.

Une action en profondeur sur les normes, véritable serpent de mer dans les relations entre l'Etat et les collectivités locales, demanderait des recherches de grande ampleur. La notion même est floue, son périmètre est discutable et beaucoup ne sont pas spécifiques aux collectivités. Sauf à faire des investigations ponctuelles approfondies, une mesure exacte des dépenses induites, d'ailleurs variables selon les contextes, est irréalisable. Et elle devrait être pondérée par la mesure des bénéfices obtenus, souvent difficiles à monétiser. Comme un grand soir des normes est inimaginable, il importe d'organiser leur examen de manière continue et méthodique. Le Conseil national d'évaluation des normes, qui peut d'ores et déjà être saisi de demandes sur des normes réglementaires en vigueur, devrait pouvoir mener également des études sur des normes législatives. Au vu des exemples étrangers réussis, seule une institution permanente et experte permet des avancées significatives.

Sur les compétences, nous voudrions juste répéter que des chevauchements et interférences sont inévitables et parfois nécessaires. Dans la plupart des grandes politiques publiques des raisons objectives font que chaque niveau territorial a des motifs et intérêts à s'occuper de certains aspects. Cela nécessite d'organiser les partages et coopérations en situation concrète et non de façon abstraite par de lourdes constructions normatives à prétention géométrique.

Il manque en France une authentique doctrine des pouvoirs locaux, au lieu de l'évanescente notion de décentralisation ; un puissant organisme d'études, sous l'autorité de l'Etat, avec présence d'élus locaux ; et, enfin, une culture de négociation pour convenir des transformations que les temps imposent.

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