Les Chambres régionales et territoriales des comptes ont 40 ans
Les Chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC), instituées par la loi du 2 mars 1982 comme acteurs centraux du nouveau contrôle des finances locales, furent installées en 1983, après qu'il avait fallu tout créer : personnels, locaux, budgets, règles de fonctionnement. Institutions radicalement nouvelles, elles ont dû trouver leur place dans deux environnements qui les accueillirent sans enthousiasme particulier.
Du côté des collectivités territoriales, ces juridictions entièrement dédiées au contrôle de leurs finances selon des formes inédites, suscitèrent de compréhensibles appréhensions, entretenues par les premières décisions rendues à l'occasion de vérifications de postes comptables ou d'organismes qui n'en avaient pas subi depuis longtemps. Outre le prononcé de classiques débets, les Chambres engagèrent de nombreuses et parfois retentissantes procédures pour gestion de fait. Une jurisprudence progressivement établie sur l'utilisation des associations de droit privé par les administrations publiques fait que ces problèmes ont disparu de l'agenda des juridictions financières.
L'examen de gestion était un exercice totalement nouveau pour les deux parties. Les Chambres devaient concevoir les méthodes et limites de leurs investigations, face à des élus - et à leurs collaborateurs - qui dénonçaient un contrôle d'opportunité et un empiètement sur leurs prérogatives naturelles. La matière est dorénavant codifiée à l'article L252-6 du Code des juridictions financières : « L'examen de la gestion porte sur la régularité des actes de gestion, sur l'économie des moyens mis en oeuvre et sur l'évaluation des résultats atteints par rapport aux objectifs fixés par l'organe délibérant. L'opportunité de ces objectifs ne peut faire l'objet d'observations. » Il reste des marges d'interprétation et les responsables locaux estiment souvent que les Chambres manquent de réalisme dans leurs conclusions, d'autant que les rapports, soumis à une large publicité, sont fréquemment versés dans des débats politiques. Dans l'ensemble, ces analyses sont cependant reconnues comme une assistance à la sécurité et à la qualité de la gestion.
L'insertion des CRTC dans la juridiction financière ne se fit pas sans quelques frictions. La Cour des comptes perdait le monopole du jugement des comptes, sa fonction historique, qui justifie sa qualification de juridiction et le statut de ses magistrats. Elle eut la tentation de considérer les CRTC comme de simples chambres à compétence territoriale à côté de ses chambres à compétence thématique. L'assujettissement aux organes de direction de la Cour n'était toutefois guère défendable, dès lors qu'elles constituent une catégorie de juridictions distincte, qui ne peut pas être incluse dans sa juridiction d'appel.
Dans les missions non juridictionnelles, divers modes de collaboration entre les Chambres et la Cour permettent de produire d'éclairantes études particulières aussi bien que le riche rapport annuel « Les finances locales en ... », publié depuis 2013. La Cour des comptes n'a jamais souhaité perdre la main sur les finances locales, trop imbriquées dans les finances et les politiques nationales.
Trois réformes de la période récente ont encore transformé les CRTC. La première est l'extension de compétence à des organismes dotés de systèmes financiers et de gestion très différents de ceux des collectivités locales, notamment des hôpitaux et universités, en sus de plus d'un millier de communautés et métropoles, partiellement compensées par la diminution du nombre de syndicats intercommunaux. Un deuxième changement résulte de la fusion de régions qui a réduit le nombre des CRTC (13 en métropole, 10 outre-mer) tout en accroissant fortement les effectifs de certaines, qui frisent parfois la centaine de personnes, néanmoins très insuffisants face aux tâches (14 587 organismes soumis à leur contrôle). Enfin, l'ordonnance du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics a profondément restructuré les missions juridictionnelles de la Cour des comptes et des Chambres. L'expérience acquise et les adaptations consenties expliquent qu'aujourd'hui personne ne conteste que les CRTC contribuent de façon significative au bon état des finances locales.