La Lettre du Financier Territorial

Droit &
Jurisprudence

Les pièces justificatives de dépenses publiques ne sont ni des budgets, ni des comptes

Publié dans le N°385 -Mars 2023
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Indemnités des élus locaux. Frais de représentation. Maire de la Ville de Paris et membres du cabinet. Notes de frais : documents communicables.


Conseil d'Etat, 10ème et 9ème chambres réunies, 8 février 2023, M. A.../Ville de Paris, n° 452 521

Des notes de frais et des reçus ne constituent pas des budgets ou des comptes ! M. A... a demandé en janvier 2018 à la Ville de Paris la communication des documents retraçant les frais de représentation de la Maire de Paris et des membres de son cabinet pour l'année 2017. Il s'est fondé sur l'article L 2121-26 CGCT relatif à la communication des budgets et des comptes. Pour les juridictions administratives, il est appelé M. A, mais tout le monde sait qu'il s'agit du journaliste néerlandais Stefan de Vries...En effet, l'arrêt du 8 février 2023 a été très largement relayé par la presse écrite et par les chaines de télévision !

N'ayant pas obtenu de réponse, M. A. a saisi la CADA qui, par un avis du 12 juillet 2018, a déclaré sans objet la demande de communication des reçus de frais de représentation des membres du cabinet et a donné un avis favorable à la communication des autres documents demandés. M. A... a demandé au Tribunal Administratif de Paris (TAP) d'annuler la décision implicite de refus de la Ville de Paris qui n'a pas donné suite. Dans son jugement du 11 mars 2021, le TAP a annulé le refus de communication et a enjoint à la Ville de Paris de transmettre à M. A ...les copies demandées, non anonymisées, dans un délai de deux mois. Le TAP a également condamné la Ville à lui verser une somme de 1000 euros à titre de réparation du préjudice matériel et moral subi du fait du retard dans la production des documents (M. A... avait réclamé 8000 euros)...M. A voulait s'en servir pour rédiger un article sur les dépenses (selon lui des dépenses inconsidérées) de la Maire de Paris et de son cabinet. Mme Hidalgo avait effectivement multiplié les déplacements à l'étranger pour obtenir des soutiens en faveur de la candidature de Paris aux Jeux Olympiques de 2024.

« En premier lieu, le droit de communication qu'instituent les dispositions de l'article L. 2121-26 du code général des collectivités territoriales s'agissant des " budgets " et des " comptes " des communes ne s'étend pas aux pièces justificatives des opérations et documents de comptabilité qu'il appartient à l'ordonnateur et au comptable public de conserver, en vertu des dispositions de l'article 52 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, lesquelles constituent des documents distincts des " comptes " visés par le droit de communication spécial établi par cet article du code général des collectivités territoriales. Par suite, ces dispositions, dont M. A... se prévaut devant le Conseil d'Etat, ne peuvent être utilement invoquées à l'appui des conclusions tendant à l'annulation de la décision de refus de communication des documents demandés.

9. En second lieu, toutefois, des notes de frais et reçus de déplacements ainsi que des notes de frais de restauration et reçus de frais de représentation d'élus locaux ou d'agents publics constituent des documents administratifs, communicables à toute personne qui en fait la demande dans les conditions et sous les réserves prévues par les dispositions du code des relations entre le public et l'administration citées au point 2 ».

Le Conseil d'Etat relève que M. A... s'est uniquement fondé sur l'article L 2121-26 CGCT, c'est-à-dire sur le régime spécial applicable aux « budgets » et aux « comptes ». Or les pièces justificatives qui accompagnent les opérations de dépenses ne sont ni des budgets, ni des comptes en tant que tels. Pour le Conseil d'Etat, les pièces justificatives, en vertu du décret GBCT du 7 novembre 2012, constituent des documents distincts qui ne peuvent pas être communiqués sur la base du régime de communication des budgets et comptes, donc de l'article L 2121-26 CGCT. Le Conseil d'Etat en déduit que le TAP a commis une erreur de droit et que son jugement doit être annulé. Mais ce n'est pas pour autant que les pièces justificatives ne peuvent pas être communiquées : la demande doit être fondée sur le régime normal des documents administratifs, c'est-à-dire le régime de l'article L 311-1 CRPA. Pour le Conseil d'Etat qui règle l'affaire au fond, les notes de frais et reçus de déplacements ou les notes de frais et reçus de frais de représentation ne portent pas atteinte à la privée des élus ou des agents et doivent donc être communicables.

Le Conseil d'Etat annule la décision implicite de refus de la communication des documents demandés : il demande à la Ville de Paris de réexaminer sa demande dans un délai d'un mois mais n'assortit pas sa décision d'une astreinte par jour de retard. Il est vrai que pour des pièces justificatives de dépenses réalisées en 2017, un article de presse à paraitre en 2023 n'aurait pas l'effet escompté par M. A. C'est donc très légitimement que le Conseil d'Etat rejette les prétentions indemnitaires de M. A.

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