Subsidiarité et politiques économiques locales
La nécessité de réorganiser les compétences des collectivités locales évoquée par le Président de la République nous renvoie à un autre mythe sur la gestion publique qui a fleuri au tournant du siècle : la subsidiarité. Méthode, davantage que principe, elle signifie que les missions des administrations publiques doivent être attribuées au niveau où elles pourront être exercées le plus efficacement. Elle s'applique aussi bien, quoique différemment, à la répartition des pouvoirs normatifs dans l'Etat fédéral qu'à la distribution des missions entre administrations territoriales au sein de l'Etat.
Inscrite dans de nombreux textes (traité UE, constitutions, Charte européenne de l'autonomie locale) l'idée reste néanmoins essentiellement doctrinale. Sa mise en oeuvre suppose qu'une autorité experte et légitime puisse démontrer en quoi une catégorie de collectivités territoriales, laquelle est toujours disparate, doit être préférée à telle autre pour assumer des tâches déterminées. Cela se décide dans des processus politiques et les capacités d'une collectivité dépendent notamment des ressources qu'elle peut mobiliser et de son mode de gouvernance qui sont l'expression d'autres choix politiques. En outre, l'importance des effets externes de la plupart des activités publiques fait qu'il est difficile de savoir quand elles doivent être appréciées à raison de leur objet direct ou de leurs effets induits ; ce phénomène explique d'ailleurs les tendances centralisatrices à l'oeuvre un peu partout.
Prenons l'exemple de l'action économique. Tous les pouvoirs locaux revendiquent de s'en occuper, alors que la doxa est que la matière a vocation à être réservée à la région. Or, les missions des collectivités sont pratiquement toutes en rapport avec leur environnement économique qu'elles contribuent à modeler. Urbanisme, transports et déplacements, habitat, formation, environnement, eau, déchets, tourisme, culture exigent d'être conçus en considérant aussi leurs impacts économiques. Des bénéfices économiques méritent donc d'être recherchés par la rationalisation des compétences, spécialement dans les domaines où elles sont très dispersées (eau ou déplacements, par exemple).
La primauté proclamée de la région s'explique par la volonté d'éviter la compétition entre collectivités en direction des entreprises et par le fait qu'en 1959 l'administration régionale de l'Etat avait été conçue pour coordonner ses politiques interventionnistes qui ont, depuis lors, fortement reculé, sans être reprises par les régions. Malgré la longue liste contenue dans l'article L4211-1 du CGCT, celles-ci n'ont, en définitive, que peu d'instruments de politique économique ; ils se limitent essentiellement aux aides aux entreprises, dont les résultats sont discutés, à l'élaboration de divers schémas dont les suites ne sont guère évaluées, pas plus que celles des travaux des CESER, et à des montages financiers complexes, inégalement utilisés.
De nouveaux enjeux revalorisent aujourd'hui la fonction économique de toutes les administrations territoriales: réindustrialisation, limitation des déplacements et transports, environnement, nouvelles énergies, sécurité alimentaire, accueil de populations, etc.
Vouloir construire un édifice géométrique où, par une application « scientifique » de la subsidiarité, la loi attribuerait à chaque collectivité un rôle déterminé, serait irréaliste. De trop nombreux facteurs entrent en ligne de compte et il faut pouvoir s'adapter aux évolutions.
Laissons plutôt jouer une subsidiarité naturelle en faisant confiance à l'intelligence des acteurs locaux, qui sont les mieux à même de comprendre les atouts et besoins de territoires différents, en les obligeant cependant à coopérer entre eux. Cela passe peut-être par le rétablissement de la clause générale de compétence des régions et départements, par une forte implication des intercommunalités et par l'utilisation dynamique de conventions. Permettre aux collectivités d'élaborer des stratégies concertées, parfois même avec l'Etat, explicitées dans des documents de nature souple, serait infiniment plus fructueux qu'une accumulation de règles et procédures, tout en évitant que ne se conçoivent des stratégies économiques juxtaposées, dont la tentation existe ici ou là.