Tout se tient et vacille ...
La Lettre a souvent regretté le manque de vision et l'absence de cohérence des modifications décidées par la loi sur les ressources des collectivités territoriales, principalement sur la fiscalité. La plupart n'étaient d'ailleurs pas conçues comme des réformes pour les finances locales mais poursuivaient des objectifs nationaux, parfois politiques (suppression de la TH), plus souvent économiques en vue d'améliorer la compétitivité des entreprises (suppression de la taxe professionnelle en 2010 ou, récemment, des impôts locaux de production, CVAE, etc.). Aucune n'a apporté de simplifications ou d'autres bénéfices pour la gestion locale. Faute de savoir créer de nouveaux impôts locaux, la compensation s'est faite par la concentration de la fiscalité locale sur la taxe foncière devenue un impôt pesant et encore moins équitable, ainsi que par un appel au financement par l'État sous forme de dotations ou de parts d'impôts nationaux (TVA). Chaque fois les deux partenaires en sortaient perdants, l'État alourdissant ses charges rigides et les collectivités perdant en autonomie de décision et souplesse de gestion. Nonobstant quoi, ces pratiques se sont répétées.
Les effets fâcheux de ces échafaudages compliqués ressortent douloureusement par temps difficiles. L'État cherche à réduire les coûts qu'il s'est imposés en rationnant les transferts versés. Or, les collectivités locales, soit n'ont plus de levier fiscal pour atténuer les pertes (départements et régions), soit peuvent difficilement y recourir car le seul grand impôt restant, la taxe foncière, est déjà à un niveau insupportable pour les contribuables. Et augmenter les droits de mutation quand le marché immobilier aurait besoin d'être soutenu et que cela accroit d'autant l'endettement des ménages acheteurs et réduit donc leur pouvoir d'achat n'est pas d'une grande pertinence.
Les marges de manoeuvre des collectivités locales étant limitées en dépenses de fonctionnement, qui sont même souvent en hause dans leur volet social, c'est donc mécaniquement par l'investissement que se fera la régulation, ce qui n'est guère heureux au moment où l'économie patine. Cela va accentuer l'atonie générale, y compris celle des recettes fiscales de l'État. Reste, certes, le recours à l'emprunt, qui n'est toutefois recommandé ni pour des collectivités qui plomberaient ainsi leurs budgets futurs, ni pour les comptes nationaux dans lesquels il importe de stabiliser la dette publique.
La bonne voie de sortie est connue : un rebond significatif de l'économie nationale et la création de richesse. Une France dont l'économie s'affaiblit, dont la balance commerciale est en permanence dans le rouge comme le sont les comptes publics ne réglera aucun de ses problèmes, sociaux, climatiques ou militaires. Redynamiser l'économie marchande est cependant un défi considérable alors que l'économie non marchande, financée par des impositions, des cotisations et l'emprunt, représente 58 % de dépenses publiques dans le PIB. L'emprise de l'État sur l'économie ne se fait d'ailleurs pas seulement par les prélèvements obligatoires mais également par la prolifération de règles et normes dont les bénéfices ne sont jamais évalués.
L'économie ne progressera pas beaucoup dans les secteurs traditionnels, même par la réindustrialisation et les relocalisations dont les résultats demeurent modestes. L'essentiel devra se réaliser dans de nouveaux domaines qui dépendent fortement de l'innovation, laquelle a besoin d'une flexibilité que notre système n'offre pas. Les études comparatives montrent pourtant que les freins à la croissance et à l'emploi sont autant dans les rigidités et lourdeurs que dans les charges financières.
Nous voici renvoyés vers une autre forme de subsidiarité et de décentralisation : dans les rapports entre l'État et les entreprises. Plus de libertés et de capacités d'initiative données aux acteurs de terrain, collectivités locales et entreprises, serait une voie que nos dirigeants devraient explorer plutôt que de persister dans le centralisme et dans l'utilisation du système public comme machine à redistribuer, plus ou moins aveuglément, une richesse que nous n'arrivons plus à produire. Un effort d'imagination collective, dopé par un peu d'enthousiasme, pour rénover notre modèle de gouvernance aiderait aussi à dépasser l'actuelle frénésie politique.