Dette publique : un panorama préoccupant
Chacun savait que sortir de la folle période des taux d'intérêts nuls ou négatifs sera dur. Cela s'effectue maintenant dans un contexte inédit de guerres, d'inflation, de tensions sur des produits de base et de pressions sur les dépenses publiques. Vu l'extrême complexité des effets de système, aucun pilote ne maîtrise l'ensemble. Si les banques centrales restent à la manoeuvre, leurs moyens d'action sont limités et ont des impacts lents et incertains sur l'économie, comme l'a reconnu le président de la Réserve Fédérale, car les modèles macro-économiques ne garantissent plus les résultats attendus. La dette publique française, qui s'établit à 2 950Md€ à la fin du 4e trimestre 2022 et à 111,6 % du PIB (Insee), continue à croître dans un processus de refinancement perpétuel dont la vue d'ensemble est impressionnante.
Les administrations publiques françaises, prises dans l'addiction de la dette facile, l'ont utilisée pour des dépenses de fonctionnement, de protection sociale voire pour le financement des budgets locaux, créant un socle d'endettement dont la réduction nécessitera des efforts colossaux, qui ne pourront pas se réaliser seulement en appauvrissant l'Etat. Le bas coût de l'argent n'ayant pas été mis à profit pour rénover suffisamment les infrastructures (rail, nucléaire, réseaux...) ou pour la transition énergétique et les politiques environnementales, il faudra rattraper cela à des coûts accrus. S'y ajoutent d'urgents besoins de sécurité et de défense. Sans nouveaux impôts ?
La loi de finances pour 2023 affiche un besoin de financement de l'Etat de 304,9 Md€, 164,9Md€ pour le déficit de l'année et 149,5Md€ pour « l'amortissement » de la dette arrivant à échéance, en fait la continuation du financement des déficits antérieurs. La Cour des comptes observe qu'en 2022 la charge de la dette a dépassé de 12Md€ en exécution les prévisions budgétaires et qu'elle « est appelée à augmenter de manière significative » sous l'effet de l'inflation (provisions pour titres indexés) et de la hausse des taux d'intérêt. M ême si l'Etat réduit son déficit budgétaire, les échéances à refinancer représentent d'ores et déjà des montants considérables.
Alors que la baisse tendancielle de la charge de la dette avait permis de contenir le déficit budgétaire, l'évolution inverse, qui affecte aussi les autres charges publiques, va fortement raboter le pouvoir d'achat de l'Etat. Pareillement, dans les collectivités locales la poussée sur les dépenses courantes rognera l'autofinancement, car il y a peu de chances qu'elles bénéficient d'une évolution équivalente de leurs ressources. Maintenir un bon niveau d'investissement exigera un recours accru à l'emprunt. Au prix qu'il aura ?
Les gros volumes de titres d'Etat achetés par les banques, compagnies d'assurances, fonds de pension, autres organismes de placement et même les banques centrales, à un prix supérieur à leur valeur faciale afin d'obtenir des taux réels d'émission voisins de zéro, se déprécient et perdent en liquidité car leur marché devient peu attrayant, sauf à accepter d'importantes décotes. Outre d'imposer de lourdes provisions, cela met en difficulté les établissements lorsqu'ils doivent se procurer rapidement des fonds.
La dimension monétaire importe aussi. Dans un marché financier mondialisé où les Etats sont en compétition, lorsqu'une monnaie se déprécie relativement à d'autres, l'euro par rapport au dollar, par exemple, les taux d'intérêt sont mécaniquement à la hausse. Face aux montants en jeu, le FMI, politiquement affaibli, a perdu sa fonction originelle de stabilisateur des monnaies. Bien que de nouveaux rapports de force tentent de réduire la dollarisation de l'économie mondiale, le dollar maintient sa position dominante et... notre dépendance.
L'enjeu géopolitique de la dette ne peut pas davantage être méconnu. Environ la moitié du stock français est détenue par des résidents étrangers et, parmi les quinze spécialistes en valeurs du Trésor (SVT) qui animent le marché primaire pour l'émission des titres d'Etat, quatre seulement sont français. Cela relativise la souveraineté, politique ou militaire.
Enfin, la relation avec la politique est durement rappelée par la décision de Fitch d'abaisser la note de la France en raison des difficultés d'y mener les indispensables réformes.