La Lettre du Financier Territorial

Editorial

Le vrai prix des choses

Publié dans le N°402 -Octobre 2024
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Pouvons-nous encore nous étonner devant des évidences qui contredisent de solides idées reçues ?

Le prix est réputé être le régulateur central de l'économie en assurant l'équilibre entre l'offre et la demande de biens. Toutes les personnes et tous les organismes ont besoin d'acquérir chez d'autres des produits ou services pour lesquels il faut une contrepartie qui rémunère leur création. Pourtant, le prix est absent de cette moitié de l'économie dite non marchande, ou publique au sens de la comptabilité nationale. Et dans le secteur marchand il est de plus en plus souvent remplacé par des formes indirectes qui permettent d'afficher une gratuité apparente, phénomène qui a pris une place considérable en marketing, surtout sur internet.

Tout bien ou service a un coût de production. Les entreprises marchandes doivent le connaître avant de fixer leurs prix et afin d'équilibrer leurs comptes, qui sont conçus pour faire apparaître les composantes des coûts, y compris ceux non immédiatement visibles (amortissements, stocks...). En revanche, les comptabilités publiques, malgré d'importants progrès, sont loin de permettre une bonne mesure des coûts. Les immobilisations sont recensées de façon imparfaite, leur valorisation est de qualité inégale et l'amortissement, calculé sur une part seulement, n'est budgété que pour une fraction dans les collectivités locales et nullement dans l'Etat. L'évaluation analytique des produits, peu répandue et, au mieux, partielle et confidentielle, n'est quasiment jamais mise sur la table où se discutent les politiques.

Suprême originalité de l'économie publique : le montant du coût, même connu, ne peut être mis en face d'un prix puisqu'on ne sait pas qui, précisément, paye les produits publics puisque, conformément au principe d'universalité budgétaire, toutes les ressources financent toutes les dépenses. Et comme ces ressources ont des origines et natures variées, il est impossible de déterminer laquelle couvre les coûts d'un bien, voire d'un ensemble de biens.

La doctrine de la démocratie moderne est pourtant fondée sur l'idée que sur le marché politique se confrontent et se négocient la demande des biens publics et l'argent que les citoyens acceptent de payer pour les obtenir. Les arbitrages budgétaires se feraient suivant cette logique.

Construction parfaitement irénique ! Elle supposerait que les autorités qui décident de ces questions aient identifié - et représentent - à la fois les demandeurs et les payeurs, ces derniers étant, schématiquement, un groupe de contribuables. Or, le droit budgétaire est conçu pour qu'il ne puisse pas apparaître de relation entre ce que des contribuables acquittent et leurs consommations de biens publics. D'ailleurs, qui payerait ceux des départements et des régions qui ne facturent plus aucun impôt significatif à leurs administrés ? Et les opérations courantes du secteur communal sont alimentées dans une forte proportion par des dotations et partages d'impôts d'Etat. Les contribuables de celui-ci payent donc aussi pour autre chose que les services qu'ils reçoivent de lui. Dans les administrations de sécurité sociale, initialement conçues sur un modèle mutualiste, les cotisations ne représentent plus qu'environ la moitié des ressources, dont une fraction seulement est acquittée par les bénéficiaires directs.

Le prix est donc absent d'une grande partie de l'économie nationale qui fonctionne selon de tout autres mécanismes et logiques que ceux des modèles formalisés et rationalisés. Ils sont ceux d'un univers politique et administratif que la science économique appréhende mal et ne perçoit que dans des grandeurs « macro » éloignées de la vie réelle. En trente ans la nouvelle gestion publique n'y a rien changé ! A-t-on une dénomination correcte d'un tel système : post-libéral, néo-collectiviste, autre ?

Les effets de vases communicants entre personnes publiques et au sein même des budgets renforcent encore l'impossibilité de connaître d'où vient exactement l'argent et où il va. Ce brouillage délibérément organisé ne contribuerait-il pas grandement au désordre des finances publiques ?

Car le prix est aussi ce qui donne une valeur, terme dont les résonnances dépassent l'économie et la finance. Quelle valeur donne-t-on à un objet sans prix ? Mieux mettre en lumière la valeur des biens publics ne serait-ce pas aussi faire progresser l'éducation civique ?

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