Responsables et coupables ?
André Laignel, l'emblématique président du Comité des finances locales (CFL), a déclaré lors d'une rencontre récente avec les ministres Laurent Saint-Martin et Catherine Vautrin : « Nous n'acceptons aucune des mesures qui nous sont proposées ». Avec la présentation de la loi de finances 2025, est revenue la perpétuelle question de la part des collectivités territoriales dans le déficit et la dette publics. Certaines pièces de théâtre à succès sont rejouées avec des acteurs différents mais à livret identique. Voici donc la nouvelle saison de la pièce que l'on pourrait appeler « Responsables et coupables ».
Le premier acte a été interprété par les anciens ministres Bruno Lemaire et Thomas Cazenave lorsqu'ils ont affirmé dans un courrier adressé en septembre aux rapporteurs généraux et aux présidents des Commissions des Finances des assemblées, que les dépenses des collectivités pourraient déraper à hauteur de 16 Md€ selon une note du Trésor. Ce chiffrage est contesté unanimement par les associations d'élus locaux.
Le deuxième acte appartient à la Cour des comptes avec la publication du second fascicule de son rapport annuel sur les finances publiques locales 2024. Elle y affirme que le déficit global des collectivités devrait fortement s'accroître en 2024. La cause de cet emballement tient, pour reprendre les termes des magistrats de la rue Cambon, aux dépenses particulièrement dynamiques. La Cour avait déjà soulevé une détérioration globale de la situation financière en 2023. À la demande de l'ancien Premier ministre, Gabriel Attal, la Cour a présenté un ensemble remarqué et contesté de mesures afin que les collectivités contribuent au redressement des finances publiques. La proposition de suppression de 100 000 emplois locaux a notamment cristallisé les critiques. Il s'agirait de revenir à une masse salariale proche de celle des années 2010. La Cour suggère aussi une forme de retour à la contractualisation.
Le troisième acte a quant à lui été interprété par le nouveau gouvernement Barnier. Le volume global des finances des collectivités représente 236 Md€ selon les chiffres gouvernementaux. L'effort demandé a été chiffré à 2 % de leur budget, soit une réduction de 5 Md€ et 8,3 % de l'effort total de maîtrise de la dépense publique, chiffré initialement à 60 Md€. André Laignel a contesté le chiffrage du Gouvernement en rappelant qu'en plus de certaines mesures actives de contrainte devrait être comptabilisé le gel de la dotation globale de fonctionnement.
Le dernier acte de la pièce doit être joué par le Parlement. Les années précédentes, les mesures de contrainte des finances locales avaient été finalement adoptées sans grandes difficultés. Le contexte politique inédit ne devrait pas permettre au Gouvernement de se passer d'une adoption au forceps par un recours à l'article 49-3 de la Constitution...
Les acteurs jouent et rejouent donc une pièce qui pourtant mériterait une récriture du livret. Ainsi, le démantèlement, depuis plus de 20 ans, de la fiscalité locale vaudrait d'être enfin expertisé. L'exemple de la TVA est particulièrement illustratif d'une politique fiscale locale erratique. L'État a compensé la suppression de certains impôts locaux par un transfert de TVA avec la promesse d'un dynamisme de la recette fiscale locale avec pour conséquence une baisse des recettes pour l'État que la Cour des comptes a critiquée. Ce dynamisme est désormais critiqué par l'État lui-même et en passe d'être remis en cause. La suppression de la CVAE comme recette fiscale locale (notamment compensée par de la TVA !) illustre cette politique fiscale étonnante sachant que la CVAE devrait être maintenue comme recette de l'État. Et dans la grave crise de la dette, la part des collectivités est minime, de l'ordre de 8 % de l'endettement public, et encore est-ce exclusivement pour de l'investissement.
En matière de dépenses la question centrale de la masse salariale appelle une réflexion infiniment plus poussée. L'augmentation du point d'indice, sans concertation, avec les collectivités illustre la défaillance de la coordination des politiques. C'est l'ensemble du financement des collectivités qui doit être repensé. Les mesures conjoncturelles ne peuvent constituer une politique durable. Les collectivités ne peuvent pas indéfiniment jouer le rôle de responsables et de coupables.